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17 mars 2009

Saison 1 / Episode 25 : Dreyfus II ?

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L'affaire de l'année est-elle en train de se dérouler en ce moment même ?

Nous avons difficilement pu échapper au torrent médiatique qu'à déclenché l'ouverture du procès d'Yvan Colonna.

Il faut avouer que tous les ingrédients donnant une portée historique à ce procès sont réunis : meurtre d'un Préfet, Politique impliqué au plus haut niveau dans cette affaire (qui a oublié les images d'un futur Président, alors Ministre de l'Intérieur, triomphant à l'annonce de la capture du principal suspect), et évidemment Justice aux premières loges.

Je ne vais pas faire le procès à la place des juges, bien sûr, mais il y a une chose que je trouve particulièrement extraordinaire dans ce procès, et sans doute l'avez-vous remarqué : son atmosphère si singulière.

Depuis l'ouverture du procès, rebondissements et coups de théâtre se succèdent, de manière à rendre jaloux les scénaristes de films ou séries.
L'aspect théâtral est même au centre du procès, les différents intervenants apportant tous de nouvelles scènes à cette pièce en plusieurs actes.

Certains allant même jusqu'à endosser l'assassinat du Préfet pour disculper Colonna, on est en droit de se demander si tout ce à quoi nous assistons est une manipulation orchestrée afin de déstabiliser la Justice, ou si nous nous dirigeons vers un procès qui, quelque en soit l'issue, marquera la Justice.

N'ayons pas peur des comparaisons, nous envisagerons notre argumentaire avec l'affaire Dreyfus en tête.

L'affaire Dreyfus, oui.

Pour ceux n'ayant jamais entendu parler de l'affaire Dreyfus, qui provoqua un tollé historique au début du Vingtième siècle, sachez que (pour faire bref) le Général Dreyfus fut accusé à tort de trahison par l'armée française, une armée qui n'a jamais voulu remettre sa décision en question pour l'image patriotique, alors que tout disculpait Dreyfus.
Après 1906, Dreyfus s'achemina vers la réhabilitation, mais l'image de la Justice et de l'armée en sera pour toujours ternie.
Notons ici que c'est cette affaire qui poussa Emile Zola à rédigé son fameux « J'accuse », et certains n'hésitent pas à voir en ce procès le point de départ du clivage politique Gauche/Droite avec les défenseurs de Dreyfus, à gauche, contre les patriotiques prêt à sacrifier un homme pour l'honneur national, à droite.

Il y a encore quelques semaines, il était difficile de croire Colonna destiné à un avenir autre que celui d'un coupable idéal, tant les médias et les politiques avaient fait son procès avant même que ce dernier ne commence.

Aujourd'hui, plus les audiences se succèdent, plus les témoignage en faveur du suspect Numéro 1 se multiplient.

Evidemment, nous ne pouvons donner un poids plus important à des témoignages plutôt qu'à d'autres, et on laissera les juges décider de la crédibilité des propos étonnant disculpant Colonna.

Néanmoins, si une chose est sûre, c'est bien que la Justice, peu importe finalement le verdict qui sera rendue, va souffrir de ce procès qui, à première vue déjà écrit d'avance, se révèle être un bourbier dans lequel les juges s'enfoncent un peu plus chaque jour.

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Gilles Simeoni, Antoine Sollacaro, Pascal Garbarini, et Patrick Maisonneuve, avocats d'Yvan Colonna

Le Procès est-il déjà terminé ?

Suite aux allégations de Pierre Alessandri, qui n'hésite plus à se déclarer être l'assassin du Préfet Erignac, la proposition de faire une reconstitution fut tout de même refusée.

La justice aurait-elle une légitimité à voir en Colonna un coupable idéal ? Il est vrai que les évènements depuis 1998 laissent penser qu'Yvan Colonna soit celui qui a tiré sur le Préfet : Sa cavale témoigne contre lui.
Il a toujours fait valoir qu'il était innocent, mais a aussi toujours tenté d'échapper à la justice.
Il s'est toujours décrit comme innocent, mais n'a jamais donné de noms ou d'indices pour rejeter la faute sur un autre et ainsi se disculper totalement.

Surtout, ce qui a valu à Colonna l'étiquette de « Suspect Numéro 1 », c'est la dimension politique dont revêt l'affaire du préfet Erignac.
Alors Ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy avait fait de la recherche d'Yvan Colonna une de ses priorités, avant de le retrouver et d'en faire un de ses arguments politiques afin de démontrer la force de ses résultats.
Aujourd'hui à l'Elysée, nul doute que le Président doit suivre l'évolution de ce procès auquel il a contribué en mettant la main sur le prévenu.

Ainsi, l'état des lieux est pour le moins intéressant : celui qui a remis Colonna entre les mains de la Justice et aujourd'hui Président, et Colonna est disculpé par ses proches eux-mêmes.
Situation hors norme sans doute, qui n'a de cesse de donner un aspect encore plus politique au procès : ne serait-ce pas un désaveu présidentiel que la Justice termine par finalement innocenté celui qui servit indirectement la cause du futur Président (tout le monde devait s'accorder sur le pari réussi de Sarkozy quant à la traque de Colonna) ?

De la même manière qu'il serait osé d'imaginer un innocent derrière les barreaux, il le serait d'autant plus de faire passer un message tel que celui d'un Ministre futur Président donnant en pâture à la Justice un innocent.

Les avocats de Colonna, qui ne sont pas moins de 5, sont les premiers à décrier le procès politique fait contre leur client, un procès perdu d'avance selon eux.
Ce sont des avocats, et qui plus est les avocats d'Yvan Colonna, ce qui est à prendre en considération quant à leur propos explicites.
Néanmoins, 11 ans après le meurtre du Préfet Erignac, nous en sommes à un point où la Justice se doit de bien gérer la situation si elle ne veut pas donner naissance à une Affaire Dreyfus II, ou encore un scandale digne d'Outreau.

La présomption d'innocence est donc au centre de cette affaire. Pendant des années, tout indiquait que Colonna avait tué Claude Erignac, mais aujourd'hui ce sont les autres membres du Commando qui s'adjugent ce meurtre, allant jusqu'à reprocher à Colonna de n'avoir rien fait, justement.

La Justice peut être déstabilisée, une telle affaire et une telle chronologie d'évènements ne pouvant que porter à confusion.

Nous n'évoquerons pas de possibles pressions politiques car on peut espérer que les leçons de Dreyfus ont été transmises à la génération des juges se retrouvant en ce moment face à Colonna.
Néanmoins, l'histoire de cette affaire est telle, qu'on ne peut totalement exclure cette éventualité.

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Une Justice qui à tout à y perdre.

L'opinion publique peut elle aussi voir en Colonna le coupable idéal, mais il y a fort à parier que les deux issues du procès mèneront à des conséquences dont l'appareil judiciaire voudrait bien se passer.

Bien que les proches et avocats de Colonna fassent tout ce qu'ils peuvent pour prouver son innocence, l'hypothèse la plus envisageable aujourd'hui est la condamnation.

Tous les pro-Colonna savent cette issue plus éventuelle que tout autre, et nul doute qu'ils ont déjà prévu de continuer à clamer, 11 ans après le meurtre, l'innocence.

Je ne fais qu'une légère allusion ici, mais il faut tout de même la préciser : les rapports avec les indépendantistes corses, très compliqués depuis longtemps, pourraient chercher à tourner à leur avantage une telle décision, de sorte que le procès politique pourrait laisser place à un véritable tournant historique.
Le procès Colonna est en passe de devenir le symbole de toute une nation se revendiquant avant tout corse. Il faudra suivre l'évolution de la situation chez les pro-indépendance car, comme nous l'avons vu avec la Martinique et la Guadeloupe ces dernières semaines, le sentiment d'indépendance peut renaître à chaque débat politique.

Sans oublier que l'argument des défenseurs de Colonna, en cas de condamnation, sera tout trouvé : c'est une décision politique, envisageant dès lors le manque d'indépendance nécessaire entre le Pouvoir et la Justice.

Autre issue, qui est autant à considéré que la première car, faut-il le préciser pour certains journalistes friands de formules telles que « le présumé coupable » ou autres démontrant que le suspect ne peut être que condamnable, Yvan Colonna se doit d'être considéré encore maintenant innocent.
Nous revenons sur la présomption d'innocence, tout simplement car tant qu'un prévenu n'est pas condamné, il est innocent.
Donc, dans l'hypothèse où la Justice relaxait Yvan Colonna, pourrait-on y voir autre chose qu'une Justice se tirant dans le pied ?
Entre le meurtre du Préfet et son arrestation, Colonna fut l'un des hommes les plus recherché de France, et c'est le Président de la République actuel qui l'a mis derrière les barreaux.
Imaginez la Justice envoyer un message tel que « Non, ce n'est pas lui, on s'est tous trompé. »
Que penser après une telle décision ?


La Justice est dans une situation bien délicate, si délicate qu'on se demande si elle arrivera à rester crédible après avoir rendu son jugement, tant les critiques fuseront d'un côté ou de l'autre.
Si nous ne savons pas encore quel sera le jugement rendu, nous savons au moins une chose : quelque soit ce jugement, chaque partie possède déjà des arguments à faire valoir, des arguments qui traineront la Justice dans la boue.
L'avenir nous dira si ce n'est qu'une image, ou une réalité.

Source :
http://www.france24.com/fr/20090312-le-proces-colonna-prive-son-accuse-yvan-prefet-claude-erignac

22:33 Publié dans France | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : colonna, corse, procès