11 novembre 2008
Saison 1 / Episode 2 : Les Commémorations dans le Collimateur
En ce lendemain de célébration de l’Armistice de la Première Guerre Mondiale, les faisceaux de l’actualité se tournent vers les célébrations que nous avons pour habitude de fêter chaque année.
En effet, l’historien André Kaspi est sur le point de rendre au secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marie Bockel, un rapport sur les commémorations, dénonçant la multitude des célébrations mémorielles.
Y a-t-il aujourd’hui trop de commémorations, de force qu’elles perdent leur portée symbolique, ou alors devons-nous leur accorder à chacune la même importance ?
Il serait mal vu de faire une distinction entre chaque date, afin de vérifier quelles sont les dates les plus importantes.
Pourtant, la principale idée de Monsieur Kaspi réside dans la conservation de seulement trois dates, plus précisément celle du 8 mai (Victoire des alliés sur les nazis en 1945), du 11 novembre (Armistice de 1918) et du 14 juillet (Prise de la Bastille, symbole de la Révolution Française de 1789).
Il y a actuellement douze journées de commémoration par an, mais là où le bas blesse, selon André Kaspi, c’est que six de ces journées ont été instaurée en seulement six ans, sur initiative du Président de l’époque Jacques Chirac : la célébration de l'abolition de l'esclavage (10 mai), l'hommage aux morts de la guerre d'Indochine (8 juin), l'appel du général de Gaulle du 18 juin 1940, l'hommage aux Justes de France (16 juillet), aux harkis (25 septembre) et aux morts de la guerre d'Algérie (5 décembre).
Alors, trop de commémoration tue la commémoration ?
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants
On ne peut que rappeler la riche histoire de France, marquée grandement par les deux guerres mondiales et les conflits internationaux qui s’en suivirent.
La logique veut évidemment que l’on se rappelle de ces principaux évènements, tous ayant contribué à la vie de notre patrie.
Sur quelles bases pourrions-nous justifier la sélection d’évènements plutôt que d’autres ?
Considérant que nous avons tous connus des moments marquant à un instant ou à un autre de notre vie, serions-nous enclin à en préférer certains plutôt que d’autres, bien que l’émotion ressentie pour chacun soit d’une même intensité ?
Le rapport d’André Kaspi pose le débat de la sélection apparemment impossible d’un nombre limité de dates commémoratives. Il convient donc de s’intéresser à cette idée.
La commémoration comme Devoir de Mémoire.
Le facteur mémoriel est le plus conséquent en ce qu’il est la substance même d’une commémoration : se souvenir.
Oui, se souvenir car si la France est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est grâce à ces évènements historiques qui sont mis en avant lors des célébrations commémoratives.
Aujourd’hui 11 novembre, cette célébration est encore plus forte car c’est aussi la première fois que l’on effectue notre devoir de mémoire sans un des acteurs directs de la « Der des Ders » puisque le dernier Poilu, Lazare Ponticelli, nous a quitté le 12 mars 2008 à l’âge de
110 ans.
Le devoir de mémoire n’aura donc jamais eu autant de signification que cette année, le souvenir de la Guerre de 1914-1918 devant être entretenu est transmis aux générations futures, afin de ne pas tomber dans l’oubli.
Aussi fondamentale, la Victoire des alliés sur les nazis, en date du 8 mai 1945, doit elle aussi faire l’objet de cet hommage si particulier.
On ne peut évidemment pas remettre en cause la date du 14 juillet 1789, jour de la Prise de la Bastille, liée pour toujours à la Révolution Française (qui se terminera dix ans plus tard, ne l’oublions pas) qui mènera à l’instauration progressive de la République en France.
Notons ici que ces trois dates sont les seules que voudraient conserver André Kaspi.
Qu’en-est-il alors des autres dates ?
Celles pointées du doigt par Monsieur Kaspi sont surtout celles dont l’instigateur fut Jacques Chirac, entre 2000 et 2006 :
La première, celle de l’abolition de l’esclavage (10 mai) rappelle le Décret de Victor Schœlcher concernant la fin de l’esclavagisme dans les Colonies.
Ironiquement, la lutte contre l’esclavage fut aussi le principal argument des puissances coloniales pour pénétrer en Afrique…
Réduire l’importance de cette commémoration pourrait s’apparenter à une véritable maladresse, autant éthique que technique, dans un pays comme la France où l’on compte plus de 4,5 millions de noirs, principales victimes de l’esclavagisme, et à peine une semaine après le sacre de Barack Obama dans l’un des pays ayant pratiqué le plus l’esclavagisme durant son histoire.
L’hommage aux morts de la Guerre d’Indochine (8 juin) permet de revenir sur la défaite de Diên Biên Phu, en 1954, en célébrant les soldats décédés à cette occasion ainsi que durant le conflit face au Viêt Minh d’ Hô Chí Minh, conflit qui aura d’ailleurs été très impopulaire en France.
Nous pouvons y rattacher, dans le même domaine, l’hommage aux morts de la guerre d'Algérie (5 décembre).
L’appel du général de Gaulle du 18 juin 1940, point de départ de la résistance durant l’occupation allemande, a ainsi une portée symbolique unique. Surtout, cette date est à lier à celle du 8 mai 1945 en ce qu’elle traite du même sujet qu’est la deuxième guerre mondiale.
Soulignons ici que le rôle des résistants dans la victoire de 1945 n’est aujourd’hui plus à démontrer et pourrions-nous donc conserver la célébration du 8 mai 1945 tout en mettant de côté la date de naissance de la révolte française ayant grandement participé à la défaite du nazisme ?
Enfin, l’hommage aux Justes de France (16 juillet) et aux harkis (25 septembre).
Les justes de France sont, selon la définition du terme, ceux ayant procurés, au risque conscient de leur vie ou de leur intégrité corporelle, spontanément et sans espoir de contrepartie, une aide véritable à une personne se trouvant en situation de danger ou de péril immédiat.
Cela fait échos aux personnes ayant aidés des juifs durant, encore une fois, la deuxième guerre mondiale.
Quant aux harkis, ce sont les soldats musulmans engagés aux côtés de l’armée française durant la Guerre d’Algérie (1954-1962).
De nouveau, ces dates permettent le souvenir de périodes primordiales pour la France, même si elles visent une minorité.
Vous l’aurez compris, ces six célébrations sont essentielles, que ce soit pour les personnes concernées en premier lieu comme pour la France, faisant référence à des épisodes marquants de son histoire.
Néanmoins, après avoir fait un constat des six évènements, certains se rapportant donc à de mêmes périodes (seconde guerre mondiale par exemple), pourrions-nous rationaliser le nombre de commémorations, comme le désire Monsieur André Kaspi ?
Le Désir de Rationalisation.
Au-delà de l'aspect controversé de l'idée de ne garder que trois dates clés, il convient de faire état d'un possible manque de lisibilité en cas de multitude de commémorations, sans oublier une possible désacralisation du concept, par le biais d'une banalisation.
Quelles solutions adopter ? L'intention de réduire le nombre de commémorations est louable, mais encore faut-il ne pas oublier certaines d'entre elles.
Vous l'avez peut-être entendu ces jours-ci, la date du 9 mai comme nouvelle journée de commémoration est envisageable.
Le 9 mai 1950, c'est le jour où Robert Schuman et Jean Monnet ont jetés les bases de l'Union Européenne, date toujours considérée comme la naissance de l'UE. Aujourd'hui, elle est dite "Journée de l'Europe".
Ajouter une nouvelle date de commémoration pour en supprimer d'autres ?
C'est en tout cas une des éventualités.
Reste à savoir si la date du 9 mai pourra allier commémoration à portée nationale comme européenne.
Nul doute que si ce rapport a vocation à amener de réels changements en réduisant le nombre de commémorations, la solution pour contenter toutes les minorités concernées par les célébrations habituelles va devoir faire preuve d'ingéniosité.
Sources :
Lazare Ponticelli
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lazare_Ponticelli
Les noirs en France
http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN01047com
bislitno0
L’immigration et la France
http://fr.wikipedia.org/wiki/Immigration_en_France#Donn.C3.A9es_statistiques_sur_l.E2.80.
99immigration
L’abolition de l’esclavage
http://fr.wikipedia.org/wiki/Abolition_de_l%27esclavage#M...
9 mai 1950
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19500509
23:45 Publié dans France | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : commémoration, hommage, ponticelli
Commentaires
Je ne crois pas trop de comémoration tue la comémoration sauf quand il s'agit de chanteurs décédés depuis des générations et dont on nous rabache leurs histoires chaque année, cycliquement. Mais c'est un autre sujet.
J'ai bien peur que la rationalisation des comémoration ne crée que des tensions auprès des communautés des personnes visées : anciens combattants, familles de combattants, harkis, juifs, ou je ne sais qui d'autre.
Je ne suis pas non plus certaine qu'il y ait un réel besoin de rationalisation. Cela me semble acceptable aujourd'hui.
Écrit par : Portalis | 19 novembre 2008
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